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Mondain & Céline 

Lucette Almanzor, la compagne de Céline, rapporte dans ses souvenirs qu'« En 1942, interdits de séjour par les Allemands dans un Saint-Malo où nous résidions habituellement l’été, nous sommes partis nous réfugier à Quimper, dans l’hôpital psychiatrique que dirigeait le docteur Mondain . »

La rencontre de deux confrères, de deux artistes originaux et novateurs

Le docteur Louis-Ferdinand Destouches devenu Céline en littérature, a vécu, étudié et travaillé ponctuellement en Bretagne de 1918 à 1924. Il y séjourne souvent entre les années 1932-1944. Après le traumatisme aigu de la première guerre mondiale, il voyage dans différents pays avec la SDN dans le cadre de conférences d’hygiène. Il se fixe ensuite à Paris et travaille dans des dispensaires de banlieue, mais il est resté très attaché à la Bretagne. Il vient s’y ravitailler pendant la guerre et effectue régulièrement de longs séjours dans un hôtel de Saint-Malo.

 

En 1942, faute de pouvoir se rendre à Saint-Malo, Céline va à Camaret, chez la belle-mère d’Henri Mahé, avant de s’installer à Quimper chez le docteur Mondain, alors directeur de l’hôpital psychiatrique .

Mondain / Maison du médecin directeur

 


     Les Allemands montent le mur de l’Atlantique et interdisent l’accès du bord de mer. Les Destouches doivent trouver un autre lieu de séjour en Bretagne. Le rapprochement des deux artistes Céline et Mondain est lié à l’empêchement d’un ami commun. Jacques Mourlet, ami de Céline, entré en résistance, doit héberger l’écrivain en juin ; il demande à Mondain de l’accueillir . « Le jeune couple Mourlet venait d’aménager dans une nouvelle maison, rue de la Providence, où ils ne peuvent héberger les Destouches ». Céline est ravi de trouver un hôte : « Ah ! très bien votre hospitalité Mondain. J’accepte, nous acceptons d’enthousiasme. Nous serons là-bas le 1er ou 2 juin pour 10 jours prenez disposition cher Toto avertissez - qu’on se le dise - après nous irons à Lamballe et Rennes. Mais d’abord à Quimper. Il serait admirable que nous puissions aller piller Chuto un petit peu et Hélias  - Le beurre devient rarissime et la patate et le jambon. Les chiens humains que nous sommes ne songent qu’à la pâtée  » (Gaël Richard, « La Bretagne de L.-F. Céline »). 

     Nous avons eu le privilège de stationner quelques instants juste à l'endroit où le célèbre écrivain, reçu par Jacques Mourlet, se trouva, dans le hall de la maison Mourlet.


      Mondain accueille Céline : « Le lundi 1er juin 1942, vers midi, après un voyage en train de plus de vingt-six heures, les Destouches arrivèrent en gare de Quimper-Corentin, avec ce lot de bagage superflu que nombre d’hôtes et passants effarés leur ont vu traîner sur les quais. Le docteur Paul Mondain les prit en charge pour les mener sur le plateau de Gourmelen qui domine au sud la ville, jusqu’à l’asile d’aliénés dont il dirigeait un des services. » (Gaël Richard). 


    Dans la cour d’honneur de cet hôpital reconstruit sous Louis-Philippe, trône un buste en marbre blanc sous lequel Céline et Lucette ont sans doute découvert avec amusement l’inscription : « A la mémoire du docteur Athanase Auguste Romain Follet … médecin de l’asile départemental auquel il a donné son nom » le docteur Destouches allait vivre quelques jours au cœur du domaine dont le grand père de son ex beau-père et mentor, Athanase Follet …avait été le père fondateur  » (Gaël Richard)

Les célébres palmiers de Gourmelen, l'asile de Quimper

Rapportant le témoignage de Jeanne Le Gallou, Eric Mazet écrit : « Le médecin-chef reçut le couple Destouches chez lui, dans la maison du directeur où il vivait avec son épouse Rose Gräns et leur fils Yves. De ce singulier ménage d’artistes Lucette Destouches (Almanzor) a dressé un portrait incisif : « Il était lui-même à moitié fou. Amateur de peinture, il partait représenter la nature en pleine nuit avec ses couleurs et son chevalet. Il rentrait au matin, ravi, porteur d’un tableau entièrement noir. Sa femme voulait régulièrement se précipiter par la fenêtre, et il employait ses malades à servir à table. L’un d’eux qui avait découpé sa femme en morceaux était devenu coupeur en cuisine. C’était une ambiance hallucinante, cocasse et en même temps inquiétante ». « … Il est  « communiste d’âme, ou en tout cas communisant, et il est vite entré dans la Résistance ce qui ne l’empêche pas de recevoir Céline et Lucette pendant un hiver de l’occupation et de leur proposer de les héberger dans son asile à la Libération  » (Le Gallou. Par Eric Mazet. P.1).


    A propos de communisme, Raymonde Schneider affirme que son ex-mari n’a jamais été communiste. Soutenu par les syndicats CGT-FO dans ses problèmes relationnels avec le Dr Perrussel, il pouvait apparaître communiste mais ce n’était pas le cas. Mondain était foncièrement apolitique, son seul engagement était celui de la peinture. 


    En tout état de cause, l’artiste Mondain, indifférent aux courants politiques mais ayant des sympathies pour la résistance, n’était guère enclin à deviser avec l’auteur de « Bagatelles pour un massacre » et de « L’école des cadavres », brûlots antisémites, d’autant que son épouse était juive ainsi que sa compagne et mère de son fils Thierry, Cécile Carpe, en fait, « Karp ». 

 

    D’ailleurs, Céline qui fréquentait la maison Tuset et Max Jacob, n’étalait guère ses déviances intellectuelles racistes et antisémites devant ses amis quimpérois. L’entente entre les deux hommes se forgea en dépit de leurs divergences d’opinions : Céline reconnut sans doute rapidement un frère blessé dans ce jeune confrère médecin, qui n’avait pas combattu durant la Grande Guerre mais qui venait d’entrevoir, dans la débâcle de 1940, ses horreurs, et avait un temps souffert de sa captivité en Allemagne. Il a peut-être été touché par l'approche désintéressée de sa peinture, par la qualité de son œuvre, quoi qu’aucune mention n’en soit faite dans sa correspondance avec des tiers, et reconnut en Mondain un « artisan » qui ne vivait, comme lui, que pour son travail artistique. 


    Une amusante photographie inédite, conservée par la famille du docteur Mondain, témoigne de leur intimité : dans un jardin ou verger, en tenue estivale, Céline semble mimer un aliéné, soutenu de part et d’autre par Lucette Destouches et Paul Mondain, qui, fixant le photographe, présente son patient d’un geste doctoral... Cette photo se trouve également reproduite dans l’ouvrage de Gaël Richard. 

Lucette ALMANSOR, Céline et Mondain

Photo d'une collection particulière

Mondain a marqué Céline

      Rentré à Paris, Céline ne pense qu’à retrouver la Bretagne et ses amis. Il écrit au résistant Mourlet, plaisantant, évoquant l’éventuel débarquement : « En septembre, tout ira bien -Nous repasserons vous voir - J’aurai des tuyaux magnifiques, des parachutes pleins mes poches. J’espère voir Mondain ici auparavant en tout cas la tôle est à lui – et la clef- et la femme de ménage si je ne suis pas là ». A Henri-Robert Petit : « Ici, Gaullisme à l’état pur … absolu, sans faille ». Ces citations et les suivantes sont de Gaël Richard.


    En 1943, Céline projette une expédition en Bretagne : « Alors, quand vous voit-on, Père Noël ? Et Tuset ? et l’aliéniste ? et le gaulliste et le pétainisme  ? … ». « Au printemps 1943, Céline songea à retourner à Quimper, sans doute pour retrouver à l’hôpital de Gourmelen le docteur Mondain, qu’il souhaitait consulter pour ses maux de tête ; ce projet est évoqué le 22 mai : « on va arriver en plein tommies », lance-t-il à son ami Mourlet, qui avait recueilli un pilote américain abattu à Pleuven . 


    « Céline n’ignorait rien des engagements de Mourlet et des sentiments pro-gaullistes de certains de ses hôtes quimpérois tels les docteurs Tuset et Mondain qu’il respectait sans les approuver ». Céline fut considéré comme collaborateur. Si cela avait vraiment été le cas, il aurait pu faire décimer tout le réseau de résistants par la Gestapo. Gestapo que provoquait le Docteur Tuset en se promenant dans les rues de Quimper avec son ami Max Jacob porteur de l'étoile jaune. Jean Moulin séjournait également au domicile du docteur Tuset, « refuge » de résistants ?


    Quoiqu’il en fût, Mondain a laissé une impression durable sur l’écrivain, qui en conserva longtemps le souvenir, bien qu’aucune autre rencontre ne soit attestée après 1943. « Ce séjour à l’asile d’aliénés de Quimper auprès du docteur Mondain, qui ne dura qu’une dizaine de jours, ne pouvait que marquer Céline, qui l’évoquait encore en 1946 dans ses lettres de prisonnier à Lucette : « Les corneilles font un nid ceci me rappelle notre chambre Mondain il y avait tellement de corneilles dans la cheminée d’en face. Que ne suis-je resté interné là-bas comme il me le proposait il m’aurait soigné et le temps aurait passé sans toute cette horreur après nous ».


    Dans sa cellule à Copenhague, Céline notait encore dans ses Cahiers de prison : « J’ai été chez les fous, demandez au docteur Mondain à l’asile de Quimper. Il sait – Il m’a soigné – il me connaît – J’ai mes absences – Il n’avait pas l’air – Je voudrais bien qu’il soit là ».


    Le 6 septembre 1946, depuis sa prison, il écrit à son épouse Lucette : « … Je pense à toi à notre pauvre passé – St Malo – la mère Alessandri – Dédé – Jersey – les Mondain … La véritable vie, dit Renan, la véritable existence n’est peut-être pas après tout que celle qui continue pour nous au cœur de ceux qui nous aimaient ». 


    A son ami Mahé le 23 avril 1947, « … il ne manquait pas de réclamer des nouvelles des Mondain, Mourlet et du docteur Desse ».

 
    A Lucette son épouse, à propos du docteur Tuset : « Qu’il nous donne tout de même des nouvelles de tous – Mahé – Mondain – les Mourlet -  Jeannette ». 


    Il évoque fréquemment ses amis de Quimper : « Tuset, Mondain, Mourlet, Citharel, Tartouille de Camaret, Mahé… ». 


    Libéré de prison, en avril 1947 il écrit sa première lettre d’exil à Henri Mahé, conjointe à Augustin Tuset, dans laquelle " il demandait des nouvelles de ses amis breton Briant, Mourlet, Mondain, Citharel, le Gallou, Georges Desse, Floch… ».

Georges Desse, par A.MAN  1953

L’écrivain conservait une grande estime pour le confrère Mondain. Il recommande à Augustin Tuset de le présenter à son avocat danois, Mikkelsen : « Si Mikkelsen mon avocat vient à Quimper, voulez vous être infiniment gentil de le mener à Mondain. Seul Mondain pourrait lui parler de certains aspects psychologiques  … ».  « S’il va à Quimper, Mik, il faut qu’il rencontre aussi le docteur Mondain – médecin chef de l’Asile d’Aliénés. C’est un bon ami, communiste, très intelligent et qui lui dévoilera certains aspects de certaines choses... Il lui sera présenté par le docteur Tuset un autre bon ami à la Préfecture ». 


    Nostalgie pendant son incarcération au Danemark, en 1947 : « Je n’en juge mie, mais je vois Mondain et bien d’autres  ». 

    Ce fut la rencontre de deux grands artistes, pour le meilleur, pour la médecine et pour l'art.


    Cette rencontre est aussi évoquée, en ce XXIè siècle, par Jean-Luc Germain, dans  "L’année Céline" -  2015, Editions du Lerot, Le Bourg, 16140- TUSSON. (Site : http : //www.dulerot.fr .)

Voici 4 pages extraites de cet ouvrage (cliquez sur l'image)

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